19/09/2025

TikTok pointé du doigt pour ses effets nocifs sur les mineurs

Le 11 septembre, la commission d’enquête portant sur « les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs » de l’Assemblée nationale a publié son rapport. Que contient-il ?

Une prise de conscience collective des dangers de TikTok

Débutée en mars 2025, cette commission d’enquête avait pour mission d’étudier les mécanismes de captation de l’attention du réseau social et ses conséquences sur le bien-être psychologique et le développement cognitif des jeunes mineurs. Ce réseau social d’origine chinoise est le plus populaire chez les jeunes (63% des utilisateurs ont moins de 24 ans) et fonctionne via la diffusion infinie de courtes vidéos.  Les membres de la commission d’enquête ont mené de nombreuses auditions de spécialistes, d’influenceurs, de représentants de plusieurs plateformes dont TikTok et des victimes de cette dernière afin de nourrir leurs recommandations. Une consultation publique citoyenne particulièrement productive (30 000 réponses dont presque 19 000 venant de lycéens) a permis d’enrichir la réflexion des députés.

Le rapport est sans appel : le modèle TikTok est très néfaste pour les mineurs. Dans son avant-propos, le président de la commission d’enquête, Arthur Delaporte, a tenu à dédier ce rapport aux victimes auditionnées le 15 mai 2025.

 

Quelques chiffres

Avec 27,8 millions d’utilisateurs, la France est le plus gros marché en Europe pour TikTok. Même si depuis le confinement le nombre de séniors ne cessent de croitre, 63% des utilisateurs de ce réseau social ont moins de 24 ans. L’inscription aux réseaux sociaux est théoriquement interdite aux mineurs de moins de 13 ans.

L’algorithme des contenus s’adapte aux préférences des utilisateurs, jusqu’à les enfermer dans des schémas uniques et sans nuances. Après seulement quelques minutes d’utilisation il est possible de visionner des vidéos violentes, racistes, antisémites ou sexistes. De plus, le harcèlement moral et les commentaires haineux peuvent engendrer l’altération de la santé mentale et aller jusqu’à des actes irréversibles et tragiques. La commission d’enquête révèle également la présence de la pédocriminalité et le détournement d’images d’enfants. Selon l’Office anti-cybercriminalité (OAFC), entre janvier et mai 2025 l’atteinte aux mineurs représentait 7,5% de l’ensemble des signalements contre 3,15% en 2024.

Les chiffres sont formels : la détérioration de la santé mentale est générale et préoccupante et touche plus les filles. Un lycéen sur dix déclare déjà avoir fait une tentative de suicide, 13% des enfants scolarisés âgés de 6 à 11 ans auraient au moins un trouble probable de santé mentale et 8,3% des enfants de 3 à 6 ans ont une difficulté probable. Entre 2019 et 2023, on observe une augmentation de 60% des traitements par antidépresseurs chez les jeunes de 12-25 ans.

A l’heure où les jeunes s’informent principalement via les réseaux sociaux, TikTok est une source de désinformation massive. En mai dernier, une enquête du média The Guardian montrait que plus de la moitié des 100 contenus TikTok les plus visionnés sous l’hashtag « mentalhealthtips » (astuces de santé mentale) contenait de la désinformation.

 

Un modèle économique opaque et peu protecteur pour les mineurs

En 2024, le chiffre d’affaires mondial de TikTok était de 39 milliards de dollars (+63% par rapport à 2023). Le modèle économique de TikTok repose sur l’économie de l’attention, qualifiée en 2022 par le Conseil national du numérique comme « un ensemble de dispositifs mis en œuvre afin d’extraire une valeur marchande à partir de la captation de l’attention des utilisateurs ». Couplée à l’économie de la donnée, la majorité des revenus de TikTok est issue de la publicité. Le profilage des utilisateurs par TikTok est très efficace, à tel point que les spécialistes estiment qu’il est possible d’anticiper leurs intérêts et comportements. Le Conseil national du numérique parle même d’une économie de la manipulation.

Les contenus clivants sont susceptibles d’obtenir plus d’engagement des utilisateurs et donc d’être plus mis en avant par les algorithmes. De ce fait l’intérêt économique ne protège pas les jeunes utilisateurs. La notion de l’argent est même transformée avec la possibilité de donner aux influenceurs des cadeaux virtuels lors des lives (diffusion d’un contenu en direct où l’influenceur peut communiquer plus directement avec sa communauté).

Cependant, le rapport de la commission d’enquête indique qu’il n’a pas été possible de déterminer avec précision le modèle économique de la plateforme chinoise. Cette dernière est critiquée pour son manque de transparence sur certaines informations économiques, dont la répartition de ses revenus.  La qualité des réponses apportées par TikTok sur son fonctionnement économique a été considérée « aux mieux évasive, et au pire insincère ». Malgré cela, le rapport conclut formellement que le profit économique est la motivation première de l’entreprise, au dépend du bien-être des utilisateurs.

 

La protection des mineurs passe par une régulation européenne forte

En vigueur depuis le 17 février 2024, le Digital Services Act (DSA) est aujourd’hui le règlement européen de référence pour la régulation des entreprises comme TikTok. Aujourd’hui, TikTok semble ne pas respecter son article 28 qui stipule que les fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs ont l’obligation de « garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des mineurs sur leur service ».

Face à une mobilisation croissante des États européens et surtout de la France, la Commission européenne a publié, le 14 juillet 2025, de nouvelles lignes directrices sur les mesures visant à garantir un niveau élevé de confidentialité, de sécurité et de sûreté pour les mineurs en ligne.

 

Quel avenir pour la protection des mineurs ?

La principale préconisation des 43 recommandations est d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 15 ans contre 13 ans actuellement. Seules les simples messageries ne seraient pas concernées par cette interdiction. Un changement de législation doit se faire à l’échelle européenne, et par défaut à travers le droit national. Cette mesure avait été soutenue par de nombreux auditionnés lors des travaux de la commission d’enquête, dont la ministre déléguée chargée du Numérique Clara Chappaz. Concernant les jeunes de 15 à 18 ans, un couvre-feu numérique de 22h à 8h permettrait une utilisation raisonnée des réseaux sociaux.

Les auditions ont révélé l’effacement du rôle des parents dans l’encadrement de l’usage des réseaux sociaux par leurs enfants. Même si parfois les parents reconnaissent que laisser les mineurs est une solution de facilité pour « avoir la paix à la maison », il n’en reste pas moins qu’ils sont démunis par les stratégies de contournements des jeunes. Face à cette situation qui abime l’autorité parentale et fragilise les relations sociales, la commission d’enquête soutient la création d’un délit de négligence numérique dans le code pénal en cas de manquements graves des parents dans la protection de leurs enfants. Au préalable de cette proposition, il y aurait la mise en place d’une campagne d’information massive sur les risques liés à l’utilisation des réseaux sociaux.

Afin de diffuser les bonnes pratiques et sensibiliser sur les enjeux du numérique, le rapport encourage la mise en place de séances d’éducation aux médias via l’intervention d’associations auprès des élèves. La communauté éducative devrait également être formée systématiquement et régulièrement à ces enjeux.

 

Les recommandations pour le temps scolaire

Le temps scolaire, où les parents ne peuvent exercer un contrôle sur leur enfant, est à repenser pour éviter toutes distractions négatives à l’apprentissage. En ce sens et dès janvier prochain, la commission d’enquête est favorable à l’interdiction des téléphones portables dans les lycées. Il s’agirait donc d’une extension du dispositif « portable sur pause » qui a été généralisée lors de cette rentrée scolaire avec le bannissement des téléphones dans les collèges publics.

Alors que la surexposition aux écrans peut entrainer des difficultés dans l’apprentissage, les établissements scolaires se dotent de plus en plus d’outils numériques modernes. Face à ce paradoxe, la commission d’enquête appelle à une évaluation de l’apport pédagogique et éducatif des outils et ressources numériques. Elle encourage à réduire au strict nécessaire leurs usages.

Conscient que l’efficacité d’une meilleure régulation des enjeux numériques passe par l’échelle européenne, la commission d’enquête enjoint le Conseil de l’Union européenne à accorder plus de moyens financiers et humains pour faire respecter le règlement du Digital Services Act (DSA). En France, l’Arcom est l’agence chargée d’assurer le bon fonctionnement du DSA. Aujourd’hui, une partie de l’échiquier politique français souhaite la suppression ou la modification de l’Arcom.

Les réseaux sociaux, avec des algorithmes puissants et secrets, captent facilement l’attention des mineurs. La commission d’enquête propose d’instaurer dans le droit européen une obligation de pluralisme algorithmique qui suivrait celui du pluralisme des médias.

 

En guise de conclusion

Cette commission d’enquête aura mis en lumière les dangers des réseaux sociaux et spécialement de TikTok. L’environnement des réseaux sociaux et plus globalement du numérique reste encore aujourd’hui très dangereux pour les mineurs (harcèlement, violence, pornographie, addiction…).  Dès la publication du rapport de la commission d’enquête, son président, le député Arthur Delaporte, a décidé de saisir la Procureure de la République contre TikTok pour manquements à ses obligations.

Il est impératif que l’État s’investisse davantage, tout en appelant à la bonne intelligence de toutes les parties prenantes. La CNAFC reste attentive et mobilisée sur ce sujet d’importance cruciale pour protéger les jeunes et les familles, cellules vitales de la société. Elle a notamment publié 12 questions à se poser sur les réseaux sociaux pour accompagner les parents.

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