05/12/2025

L’euro numérique, la monnaie de demain ?

Moins d’espèces, plus de paiements dématérialisés, des réseaux américains omniprésents : le paysage des paiements change à toute vitesse. Présentation du projet d’euro numérique.

Lors de la formation de la CNAFC sur la monnaie du 5 décembre 2025, un intervenant de la Banque de France est venu présenter le projet d’euro numérique.

Vers une monnaie toujours plus numérique

Le constat est simple : nous avons changé de monde sans vraiment nous en rendre compte. Les paiements se dématérialisent à grande vitesse et la tendance n’a rien d’anecdotique. Les AFC vous donnent les clés pour comprendre les paiements numériques pour mieux se protéger dans un autre article.

En France, l’usage des espèces pour les paiements en magasin est passé de 68 % des transactions en 2016 à 43 % aujourd’hui. La pandémie du Covid a accéléré brutalement ce mouvement, mais la courbe continuait déjà de baisser avant… et elle a continué après. La carte, le paiement mobile ou encore sans contact, les achats sur internet ont pris le relais, dans un quotidien où l’on fait appel à de moins en moins de billets et de pièces.

Cette évolution ne se limite pas à la France : tous les pays européens connaissent une numérisation rapide des paiements. Simplement, ils ne partent pas du même point, ni n’avancent au même rythme. Les pays du Nord – Pays-Bas, Finlande, Norvège, Suède – utilisent désormais très peu d’espèces. À l’inverse, dans certains pays du Sud, comme l’Italie ou la Grèce, le cash reste très présent.

Mais partout, la tendance est la même : payer devient un geste numérique.

 

Quand les espèces reculent, que perd-on vraiment ?

Cette baisse de l’usage des espèces ne pose pas seulement une question d’habitude ou de confort. Elle soulève deux grands enjeux : la disponibilité des caractéristiques des espèces dans l’espace numérique et la préservation de la souveraineté.

D’abord, les espèces ont des propriétés uniques. Elles sont de la monnaie de banque centrale, acceptée partout parce qu’elles ont cours légal. Elles sont gratuites à l’usage pour le payeur, ne nécessitent pas de compte bancaire et sont donc, à ce titre, très inclusives. Elles sont aussi très protectrices de la vie privée : un billet qui passe de main en main garantit un anonymat des transactions. À mesure que ces espèces sont moins utilisées, toutes ces caractéristiques reculent aussi dans notre vie quotidienne.

Le deuxième défi est d’ordre stratégique : l’Europe dépend très largement d’acteurs étrangers pour les paiements numériques. Plus les paiements se numérisent et plus cette dépendance à des acteurs étrangers se renforce.

Visa, Mastercard et la question de la souveraineté

Dans le domaine des cartes, cette dépendance provient pour l’essentiel de grands réseaux cartes internationaux comme Visa et Mastercard qui traitent plus de deux tiers des transactions par carte en Europe. Ces deux groupes américains jouent un rôle central dans les paiements du quotidien, en particulier dans les pays qui n’ont pas développé de réseau national.

En France, la situation est un peu différente grâce au schéma CB, qui reste très puissant. Beaucoup de cartes sont « co-marquées » et peuvent donc passer par le réseau ou par les réseaux Visa ou Mastercard, notamment pour les transactions effectuées à l’étranger où CB n’est pas présent.

Ces acteurs ont des atouts considérables : puissance d’investissement, innovation rapide, effets de réseau mondiaux. Ils définissent des standards techniques, multiplient les partenariats exclusifs – par exemple sur de grands événements sportifs où seule une marque est acceptée – et mènent des stratégies commerciales agressives auprès des banques pour qu’elles n’émettent plus que leurs cartes.

Les conséquences sont multiples. En termes de souveraineté, d’abord : quand un pays est capable de déconnecter un autre d’un réseau de cartes – comme la Russie l’a expérimenté par le passé – ou quand un juge français siégeant à la Cour pénale internationale se retrouve soudain sous sanctions américaines et ne peut plus payer avec aucune carte Visa, Mastercard ou American Express, la dépendance devient très concrète.

En termes de résilience, ensuite : si une grande partie de l’économie repose sur quelques acteurs, la moindre panne ou restriction peut bloquer des pans entiers d’activité.

Enfin, en termes de concurrence : lorsque deux acteurs se retrouvent en duopole, voire en quasi-monopole, ils ont la main sur la tarification. Les commerçants le ressentent directement : hausse des commissions, frais additionnels, services facturés en plus. Autant de marge qui part soutenir des entreprises étrangères plutôt que l’économie locale.

Une Europe fragmentée qui n’arrive pas à s’unir

Face à ce constat, l’Europe n’est pas partie de zéro. Il existe des réseaux nationaux de carte dans certains pays, des initiatives de paiement mobile comme Wero dans quelques États et plusieurs projets ont déjà tenté de construire un « grand » schéma européen.

Mais ces tentatives se heurtent régulièrement aux mêmes obstacles : difficulté à se mettre d’accord entre communautés bancaires, divergence sur les modèles économiques, enjeux de valorisation d’actifs existants, inertie des habitudes, fragmentation des marchés. Chacun défend « son » système, ses priorités, ses compromis.

Le résultat, c’est un paysage morcelé : quelques îlots nationaux solides, quelques solutions régionales prometteuses, mais rien qui couvre réellement l’ensemble de la zone euro. Et pendant que les Européens discutent entre eux, Visa et Mastercard continuent de gagner du terrain.

 

L’euro numérique, une réponse publique dans un monde privé

C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet d’euro numérique, qui contribuerait à répondre aux enjeux liés à la numérisation des espèces.

L’idée est double. D’abord, proposer dans l’espace numérique un équivalent des espèces : une forme de « billet numérique » émis par la banque centrale, qui reprendrait les caractéristiques fondamentales du cash, mais pour les paiements en ligne et dématérialisés : acceptation partout en zone euro, gratuité pour l’utilisateur, très haut niveau de confidentialité, utilisable y compris par des personnes peu à l’aise avec l’outil bancaire classique.

Ensuite, apporter une réponse européenne à la dépendance actuelle. L’euro numérique serait un moyen de paiement public, commun à tous les pays de la zone euro, ne reposant pas sur des réseaux de cartes privés américains. Il viendrait compléter les initiatives privées comme CB ou Wero et renforcer l’autonomie stratégique de l’Union dans un domaine aussi vital que les paiements.

 

Comment fonctionnera concrètement l’euro numérique ?

L’euro numérique aurait deux grandes modalités d’usage complémentaires :

La première ressemble à ce que nous connaissons déjà avec nos comptes bancaires : une utilisation « en ligne ». La seconde est plus innovante : une utilisation « hors ligne », qui redonne au numérique certaines propriétés du billet de papier.

  • La version “en ligne” : un compte en euro numérique

Dans le mode en ligne, l’euro numérique fonctionnerait comme un compte alimenté en monnaie de banque centrale. C’est votre banque qui vous donnerait accès à ce service, par exemple via son application, un peu comme elle le fait déjà pour vos comptes courants ou vos livrets.

Vous pourriez alors payer sur internet, envoyer de l’argent, recevoir des paiements, avec un euro numérique. Les transactions seraient validées, contrôlées, sécurisées, avec les mêmes obligations réglementaires que pour les autres moyens de paiement : lutte contre le blanchiment, contre le financement du terrorisme, contre la fraude.

Grâce à son cours légal, cet euro numérique serait utilisable partout dans la zone euro et dans tous les contextes.

En matière de confidentialité, ce mode en ligne serait un peu plus protecteur que certaines solutions actuelles, mais il resterait dans le même univers : votre banque verrait encore une partie des informations nécessaires à ces contrôles.

 

  • La version “hors ligne” : un billet numérique sur un support physique

La fonctionnalité de paiement hors ligne s’apparenterait en revanche sensiblement plus aux billets que nous utilisons au quotidien. Dans cette configuration, des euros numériques seraient stockés directement sur un support sécurisé – une carte, un téléphone mobile – et non sur un compte tenu par votre banque.

Pour un paiement de proximité, entre deux personnes ou chez un commerçant, le transfert pourrait se faire directement d’un support à l’autre, sans que la transaction ne soit validée à distance par la banque ou la banque centrale. Pas besoin de réseau, pas besoin de connexion internet : la valeur passerait d’un porte-monnaie numérique à un autre, exactement comme un billet passe de main en main.

 

Confidentialité, confiance et limites

Sur le plan de la confidentialité, la promesse est forte : lors de ces paiements hors ligne, aucune donnée de transaction ne remonterait vers un tiers. Seuls les deux participants à l’échange sauront ce qui a été payé, comme avec les espèces. Sur le plan de la résilience, c’est tout aussi décisif : même en cas de panne de réseau, de coupure internet, de saturation des systèmes, les paiements pourraient continuer de circuler localement.

 

Un outil en plus, pas un outil en trop

L’euro numérique vise à accroître la liberté de choix de l’utilisateur en lui offrant un moyen de paiement supplémentaire qui présente les caractéristiques des espèces sous forme numérique : l’acceptation universelle, la gratuité à l’usage, la confidentialité, l’inclusion.

Il s’agit d’un outil supplémentaire, public, européen, pensé pour compléter ce qui existe déjà : le cash, la carte, le virement, les solutions comme CB ou Wero.

Le projet d’euro numérique est encore en phase préparatoire. Les travaux actuels portent sur la conception, les tests techniques et les modalités d’usage. À ce stade, aucune décision d’émission de l’euro numérique n’a été prise. Celle-ci ne pourra intervenir que lorsque le règlement définissant ses conditions d’usage, actuellement en discussion au niveau européen, sera adopté.

La CNAFC, association de consommateurs

La Confédération nationale des Associations Familiales Catholiques (CNAFC) est l’une des 14 associations de défense des consommateurs reconnues par la DGCCRF (la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes). Grâce à cet agrément, la CNAFC vient en aide à tous les particuliers qui rencontrent des difficultés d’ordre commercial avec des entreprises. Ainsi, en cas de litige, toute personne, même non adhérente aux AFC, peut contacter l’une des nombreuses antennes consommation disséminées dans toute la France.

Plus d’informations

 

Partager cet article
Actualités

Ces articles peuvent vous intéresser

Apprendre à repérer les faux billets
Comprendre les paiements électroniques pour mieux se protéger
Nouvelle stratégie nationale des moyens de paiement 2025-2030