Crises et croissance du couple : entretiens croisés
Priscilla et Florian Descheemaeker, psychologue et informaticien sont mariés depuis 11 ans, parents de quatre enfants entre 2 et 9 ans. Ils sont engagés dans la vie de leur diocèse et dans l’école de leurs enfants. Priscilla est élue AFC à l’UDAF du Nord.
Véronique et Benoît Rabourdin, professeur d’histoire-géographie et entrepreneur, sont mariés depuis 36 ans. Ils ont cinq enfants et six petits-enfants, et sont responsables d’Amour et Vérité, la branche « couple et famille » de la Communauté de l’Emmanuel.
On dit souvent que la vie conjugale est faite d’étapes et de crises de croissance. Quelle a été votre expérience ?
V.R. : Nous nous sommes mariés très jeunes. Je me souviens de cette période que j’appelle le « printemps » du couple : la sève monte, tout bourgeonne, on a des ailes. On sait que l’autre a des défauts, mais on ne les voit pas. Personnellement, je suis « retombée » quatre ans après notre mariage : je ne voyais plus que les défauts de Benoît que je supportais mal, la vie de couple devenait difficile. J’ai alors découvert que si le sentiment amoureux faisait partie de l’amour, ce n’était pas lui qui me permettrait d’aimer mon mari pour lui-même. Au plus fort de la crise, il faut prendre des décisions : soit on met à plat certaines choses et on choisit d’avancer, soit on se sépare, comme le font malheureusement beaucoup de couples. J’ai réalisé que je devais avancer dans l’amour : passer d’un amour trop égocentré à un amour qui soit plus de l’ordre du don.
B.R. : De mon côté, je me suis rendu compte que même si le mariage était une réalité naturelle, il fallait le cultiver. Selon des chiffres que nous a donnés le Vatican, la moitié des divorces chez les catholiques ont lieu dans les dix premières années de mariage, c’est sans doute lié à cet écueil de croire que les choses se font sans effort particulier puisque c’est naturel.
F.D.- : Nous avons vécu la même courbe que celle que vous évoquez. De notre côté, la crise, six ou sept ans après notre mariage, a plutôt été liée à l’évolution de chacun. Un peu comme dans l’amitié, quand on voit un ami évoluer et qu’on se transforme aussi, créant peu à peu une distance…
P.D. : À un moment, je faisais plein de choses à l’extérieur du foyer familial et j’avais beaucoup de reconnaissance. Quand je rentrais à la maison, je retrouvais les tâches afférentes à une famille avec de jeunes enfants. Retrouver un équilibre a été un vrai chemin, qui s’est ouvert au moment du confinement. Cette période nous a permis de nous rechoisir l’un l’autre. C’est aussi à ce moment-là que nous avons décidé d’accueillir un quatrième enfant. On a remis notre couple au centre de notre vie.
Quelles ont été vos ressources pour faire face à la crise ?
F.D. : Nous avons cette chance de ne pas supporter les tensions trop longues. Quand une tension survient, on est capables d’en discuter. Je crois qu’on a toujours réussi à garder ce ciment. Dans la crise que nous avons traversée, il a fallu s’accrocher. Parfois, on a envie de lâcher, mais on se rappelle qu’on a choisi de se marier, et on décide de tenir bon. Cela passe par un engagement personnel : attendre les efforts de l’autre ne sert à rien. Commencer par soi-même n’est pas facile, mais il me semble que c’est important.
P.D. : Nos années aux Équipes Notre-Dame nous ont aussi aidés, notamment le « devoir de s’asseoir » : on pose une bougie au milieu de la table pour se parler sous le regard de Dieu. Cette bougie est très symbolique, elle nous aide à accueillir ce que l’autre dit sans emportement et sans jugement.
V.R. : Merci pour l’idée de la bougie, nous avons besoin de moyens incarnés. Dans les parcours Amour et Vérité, nous invitons les couples – et ça nous a nous-mêmes beaucoup aidés – à prendre une soirée par semaine pour eux : on éteint les portables et on se retrouve à deux. C’est l’occasion de livrer un peu son for intérieur à son conjoint. Au début, nous galérions un peu. Un ami prêtre nous a conseillé de faire des soirées « MPS », pour « merci, pardon, s’il-te-plaît », selon la méthode ignacienne. Depuis, nous nous appuyons de temps en temps sur ce schéma, et il nous a vraiment aidés. Au cours de notre mariage, nous avons aussi vu se développer de nombreux outils, comme la communication non violente ou les langages de l’amour. Ils ont été des pierres qui ont consolidé notre couple.
B.R. : Ce genre d’outils nous permet de cultiver la relation, de mieux nous connaître, avec nos angles morts, et en comprenant les différences de personnalité qui créent des quiproquos. Ceux-ci ne sont pas fatals.
Quelles conséquences l’arrivée des enfants a-t-elle eues sur votre vie de couple ?
P.D. : Nos enfants nous renvoient à nous-mêmes, à beaucoup d’égards. La fatigue de la petite enfance est le plus grand des miroirs de nos angles morts, pour rebondir sur l’expression de Benoît. Mais elle nous aide aussi à développer des forces de résistance qu’on peut réutiliser dans le couple.
F.D. : Je me souviens de la naissance de notre premier enfant comme d’une nouvelle vie qui commence, un nouveau bain, où tous les repères changent. Avec les enfants, il faut aussi prendre des décisions à deux, et accepter parfois la frustration quand la réponse apportée n’est pas celle qu’on aurait choisie tout seul. C’est grâce au ciment qu’on a réussi à mettre que l’on peut avancer.
V.R. : Nos enfants ont été parfois l’une des sources de tension dans notre couple. N’ayant pas reçu la même éducation, nous réagissions différemment vis-à-vis d’eux. Et puis, ils ont chacun leur sensibilité et leur façon de réagir. Ils nous déstabilisent, mais nous font aussi grandir, puisqu’il faut toujours s’adapter. En grandissant, nos ados ont certaines fois pu jouer sur nos désaccords. Il faut alors éviter que l’un démissionne par rapport à l’autre. On peut aussi avoir des attentes vis-à-vis de son conjoint sur sa manière d’exercer sa maternité ou sa paternité. Pour toutes ces raisons, la communication est vitale.
B.R. : Je crois que si la communion conjugale est authentique et travaillée, cela rayonne directement sur les enfants et l’entourage en général. Le plus beau cadeau que l’on puisse faire à ses enfants est sans doute de faire grandir l’amour dans le couple : cela irriguera l’ensemble de la relation familiale.
Les crises ont-elles été l’occasion de grandir, de consolider votre couple ?
B.R. : Quand elle ne nous ne détruit pas, la crise a cette vertu de provoquer une remise en cause personnelle, parce que nous avons tous du mal à changer sans coup de pied au derrière. Si elle est bien
gérée, elle est source de croissance. Nécessairement, si on se pose, qu’on prie ensemble et qu’on prend les bons moyens, l’amour en sort grandi.
V.R. : Ça a été le cas pour nous quant à la place de la tendresse dans notre vie de couple. Ayant grandi dans une famille de garçons, très pudique, Benoît n’avait pas l’habitude d’exprimer sa tendresse. Moi, je n’en avais pas pris conscience mais j’avais un manque, cela ne m’aidait pas à me sentir très proche de Benoît. C’était un danger, parce que certains de mes collègues de travail pouvaient se montrer plus « tendres » que Benoît avec moi. Ce genre de situation pouvait ouvrir la porte à ce que d’autres habitent un peu mes pensées alors que le corps et le cœur d’une épouse doivent être habités par son époux et vice-versa. Un jour, après un enseignement à ce sujet, Benoît a pris ça très au sérieux, son attitude a totalement changé, et ça a renouvelé profondément notre couple.
B.R. : Pour moi la tendresse et la douceur étaient synonymes de féminité, et j’ai compris que ça n’avait absolument rien à voir avec ça ou avec un quelconque signe de faiblesse, au contraire !
P.D. : Les crises que j’ai traversées m’ont ouvert les yeux sur la constance de mon mari : à chaque fois que je revenais après avoir eu la tentation de m’éloigner, il était toujours là. À cette période, j’aimais aussi me ressourcer dans les églises. C’est au cœur de ce désert que j’ai fait l’expérience très forte d’une présence. Je l’ai associée de manière très forte à la foi, et aussi à mon mari. La crise m’a demandé humilité et persévérance. Pour moi, c’est le moment d’un choix, personnel et de couple : celui de remonter ou pas.
F.D. : De mon côté, à l’occasion d’un accident de santé qui nous a fait très peur sur le moment, et nous a poussés à redéfinir nos priorités, j’ai réalisé que je prenais moins de plaisir à être dans ma famille. Je voyais beaucoup de choses de la logistique familiale comme un devoir. Quand j’ai transformé ce devoir en un plaisir et une joie à être en famille, ça a changé mon regard.
En tant que chrétiens, comment la foi donne-t-elle une autre dimension à la manière de traverser les étapes de la vie d’un couple ?
P.D. : Le fait d’être entourés de couples et de personnes chrétiennes qui nous ont donné leur témoignage tout en humilité, et d’amis auxquels j’ai pu me confier, a été précieux pour moi. Les temps sans enfants qu’offrent de nombreux mouvements chrétiens nous ont aussi souvent permis de retrouver ces repères.
F.D.- Faire partie des Équipes Notre-Dame nous a beaucoup aidés à garder une foi active au sein de notre couple. Je me souviens de cette prise de conscience que ce mouvement était là pour soutenir notre couple et non pas notre famille, et à quel point c’était important.
B.R. : Concrètement, la vie de prière et la vie sacramentelle permettent de travailler sur soi-même. C’est le mouvement spirituel de la conversion personnelle. S’il s’opère, il porte du fruit et le premier bénéficiaire est forcément l’époux ou l’épouse. La théologie du corps nous apprend aussi que le couple est icône de Dieu, lieu de communion d’amour, à l’image de la Trinité, et que le sacrement du mariage est un sacrement. Pourtant, c’est une réalité tellement naturelle qu’on a du mal à le comprendre : or comme tout sacrement, il nous transforme profondément. La prière du couple permet d’aller puiser dans ce sacrement.
V.R. : Prier en couple n’est pas facile, mais cela nous déplace profondément et nous consolide. À certains moments difficiles, prier ensemble nous a aidés à nous demander pardon, ou à reprendre un chemin de communication bloqué. Au début de notre mariage, j’avais tendance à être fuyante dans les moments de tension. Le temps de prière qu’on avait décidé de prendre ensemble chaque jour et auquel nous étions fidèles, même s’il était très court, me rouvrait le cœur. Je pense que c’est très précieux de mettre en place ce temps dès le printemps du couple que sont les fiançailles.