Télémédecine : privilégier la dimension humaine
Entretien
Sur le terrain, une famille et un professionnel de santé témoignent de leur usage de la télémédecine pendant la crise sanitaire et au-delà.
Qui sont-ils ?
Marine Bourgninaud : Mariée, mère de quatre enfants, archiviste et membre de l’AFC de Saint-Quentin.
Éric Legrand : Marié, père de quatre enfants, médecin libéral et membre de l’AFC de Saint-Omer.
Un nouveau rapport à la médecine
Comment avez-vous vécu la téléconsultation lors des deux confinements ?
Marine Bourgninaud – J’ai eu régulièrement recours à la télémédecine pendant la période du confinement. Dans ma famille, j’ai eu des cas d’urgence. Il était compliqué de me déplacer aux urgences avec mes autres enfants. Le recours à la télémédecine a été efficace. J’ai été mise en relation avec les médecins spécialistes dont j’avais besoin. J’ai fait des photos et des vidéos de l’évolution de la maladie de mon enfant. J’ai eu plusieurs diagnostics sans rencontrer les médecins et cela s’est très bien terminé. Le suivi a été bon. Mais ça ne peut qu’être temporaire. Je vois vraiment ça comme un palliatif. Là où on habite, il y a une pénurie de médecins. Quand c’est bénin ou que j’ai besoin d’un renouvellement d’ordonnance, je peux me con- tenter de la téléconsultation. Quand mon enfant est encombré, il peut avoir soit un rhume, soit un début de bronchite. Or, on ne peut pas ausculter un patient virtuellement.
Éric Legrand – Pendant le premier confinement, la téléconsultation au- rait pu être utile. Par exemple, au mois de mars, mes confrères dans l’Est étaient surchargés de travail. De mon côté, près de Saint-Omer, c’était très calme. Il aurait pu y avoir une solidarité médicale virtuelle grâce aux téléconsultations. Nous pouvons être isolés autant dans une grande ville que dans une zone rurale, que ce soit par la précarité des transports, le manque de connexion ou la difficulté d’accès aux soins. Il ne faut pas pour autant regarder dans ces cas la téléconsultation comme une solution d’avenir. C’est regarder par le mauvais trou de la serrure. Si j’ai du temps médical, je préfère le passer d’abord en présentiel.
Comment les familles vivent-elles ce nouveau rapport à la médecine ? Est-ce une crainte ou un soulagement ?
M.-B. – Ce n’est pas une crainte. Je pense que nous ne sommes pas assez fous pour remplacer la médecine par la téléconsultation. C’est aussi un soulagement, parce que cela me simplifie la tâche pour des choses qui ne sont pas graves. En revanche, je me suis posé la question du danger de son usage parce que le médecin ne peut pas voir au-delà de ce que dit le patient et peut manquer de diagnostiquer des cas graves. La population peut alors être plus mal soignée.
É.-L. – Pour rejoindre ce que dit Marine, la téléconsultation vaut mieux que pas d’avis du tout. Mais il faut tout de même tenter d’avoir une qualité de consultation équivalente à celle obtenue en présentiel. Je pense surtout à l’écoute. Quand je demande au patient de prendre à distance sa température, il peut ne pas avoir de thermomètre, ne plus avoir de pile ou m’indiquer un chiffre erroné : les patients peuvent nous donner des éléments depuis chez eux, mais on a du mal à y accorder du crédit.
Entre continuité et innovation
Quels sont les différents aspects novateurs que la télémédecine englobe et qui contribueront à une meilleure prise en charge du patient ?
É.-L. – Il n’y a pas que la téléconsultation. Aujourd’hui, des systèmes connectés permettent de poser des électrodes au patient. Les résultats sont transmis par internet. Et dix minutes après, un spécialiste nous répond. À l’hôpital, si le médecin a un doute sur un scanner, les images sont transmises au centre de référence et il a une réponse immédiatement. Si un patient veut faire un dépistage d’apnée du sommeil, il peut faire ça chez lui. La télémédecine, par le biais d’échanges de données cryptées et sécurisées, fonctionne très bien : les courriers des confrères sont transmis très rapidement, les résultats des laboratoires à peine obtenus parviennent dans l’heure à notre cabinet.
Dans quelle mesure la télémédecine va-t-elle renforcer ou atténuer la relation entre le médecin et le patient ?
M.-B. – On a toujours en tête un médecin de famille qui connaît nos parents, nos enfants, qui a une vue d’ensemble sur la famille, sur le contexte social, familial et médical. La visite médicale n’est pas un rapport froid avec quelqu’un d’anonyme. La téléconsultation doit pouvoir exister, mais dans le cadre d’un rapport de confiance déjà existant avec le patient.
Qu’englobe la télémédecine ?
Lorsqu’on entend parler de télémédecine, beaucoup pensent à la consultation à distance. Pourtant, la définition est plus large et englobe bien d’autres aspects de la médecine. Selon le ministère de la Santé, il s’agit d’« une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Elle a pour but de faciliter le travail du médecin et d’améliorer le confort du patient. Il existe cinq actes de télémédecine :
- la téléconsultation (donner une consultation à distance à un patient) ;
- la télé expertise (solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux) ;
- la télésurveillance médicale (interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient) ;
- la téléassistance médicale (assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte) ;
- la régulation (réponse médicale apportée par le centre 15 SAMU)*.
* Voir le Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine.
Les difficultés de la télémédecine
Le médecin de famille va-t-il disparaître ? Ne risquons-nous pas, avec la distance, de n’être réduit qu’à un simple dossier médical ?
M.-B. – Je n’ai pas encore de médecin traitant à Saint-Quentin. Il faut une semaine de délai pour prendre rendez- vous avec le médecin que je consultais. En conséquence, je vais toujours chez SOS médecin. On peut y aller à n’importe quel moment sauf qu’il n’y a aucun suivi. Depuis le mois de septembre, j’ai un enfant qui enchaîne les otites. J’ai mis du temps à avoir un rendez-vous chez le pédiatre. Le problème est le même aux urgences.
É.-L. – Il y aura de plus en plus de médecins. Mais la courbe de démographie médicale est aujourd’hui au plus bas. Nous vivons un nomadisme médical contraint et forcé. C’est le meilleur moyen pour provoquer un retard de diagnostic. Un médecin a toujours une idée en tête. Il vous donne un traitement et vous fait faire un examen. Les résultats vont lui permettre de confirmer ou infirmer son hypothèse et de passer à l’étape suivante. Si l’on change de médecin, on recommence à zéro. Lors du déconfinement, nous n’avons jamais eu autant d’infarctus non traités, de cancers ayant évolué.
Comment envisagez-vous la santé de votre corps depuis l’usage de la télémédecine ? En avez-vous une perception différente ?
M.-B. – Je trouve que la téléconsultation n’est pas très encourageante. Pendant les confinements, cela m’a un peu détachée parce que je vois bien que le suivi de santé n’aura pas lieu, parce qu’il faut se battre pour un rendez-vous, parce que je n’ai pas envie d’avoir des rendez-vous virtuels. J’attendrai un élément d’alerte pour pouvoir me pencher sur ma santé.
É.-L. – Beaucoup de patients ont sans doute raisonné comme vous. Comme on arrive souvent après l’élément déclencheur, il risque d’y avoir des retards de diagnostic. Je me souviens que lors de mes études de médecine, mon patron me parlait de la « prostate du 12 ». J’avais envie de ruer dans les brancards : non, ce n’est pas la prostate du 12, c’est M. Dupont qui a un problème avec sa prostate ! Avec ce que vous me dites, je constate que cette page n’est pas totalement tournée.
Une médecine tournée vers l’avenir
Avec le développement de la télémédecine, ne craignez-vous pas pour vos données de santé ?
M.-B. – Je ne suis pas très inquiète. L’infraction au RGPD est sévèrement punie par la loi, qu’elle concerne le stockage ou la transmission des données. Quand on les stocke, on est extrêmement vigilant, j’ai pu le constater dans mon métier d’archiviste. Le risque n’est pas telle- ment plus grand que de voir un cabinet de médecin cambriolé ou incendié.
É.-L. – Je suis pour ma part moins serein. Le législateur a sans doute bien verrouillé le problème. Mais sur Doctolib par exemple, on doit entrer le motif de consultation, on peut donner ses coordonnées bancaires pour une téléconsultation, envoyer des ordonnances ou des courriers à des confrères. Ces données peuvent être détournées. Le secret professionnel peut facilement être violé.
Dans quelle mesure la télémédecine pourrait-elle être un outil pour l’avenir ?
É.-L. – D’autres champs des possibles s’ouvrent, qui deviendront probablement incontournables à l’avenir. J’entends par là :
- La télésurveillance, comme pour ce patient porteur d’un défibrillateur implanté, qui est surveillé et appelé chaque fois que son appareil envoie une alarme. Aujourd’hui, les objets connectés (montres, smartphones…) sont capables d’analyser certaines données biométriques.
- La télé expertise, par exemple le partage de données entre confrères afin de mieux prendre en charge le patient, tout en diminuant l’impact chronophage des délais de consultation. Il suffit de penser au partage des données d’un patient hospitalisé avec son médecin traitant. Un historique des examens déjà réalisés évitera les redondances et permettra une prise en charge plus efficiente et plus économique.
- La téléassistance, comme pour ce jeune médecin qui demande un conseil, via un réseau sécurisé, par vidéo, à un confrère plus aguerri.